Pop, rédacteur pour Wafinu.
Bonjour les lecteurs de Wafinu !
J’me présente ! Chu IggyPop. Mais tout le monde m’appelle Pop. Ou le chien-tabouret. C’est pas très sympa, mais c’est pas parce que je suis raide : c’est parce que j’ai seulement trois pattes.
Oui, j’en ai perdu une, pis j’l’ai jamais retrouvée… Mais c’est une autre histoire.
C’est Mom qui m’a donné ce surnom. Pis comme elle m’a sauvé la vie avec ses copains vétérinaires, je peux pas trop lui en vouloir. Mom ? Ben c’est ma Môman. Pas ma vraie, pas ma maman-chien (qui s’appelle Grinta et qu’est une championne de beauté), mais presque. Mom et moi, on partage plein de trucs ! Même depuis que l’petiot, Charlie, est arrivé (que même, lui, le veinard, il a encore toutes ses pattes), Mom, elle me garde une place rien qu’à moi.
Vous m’croyez pas ? Ben j’vais vous l’prouver.
Mom et moi… On a fait un truc extraordinaire… Ensemble, rien qu’à nous deux.
On a acheté une maison !
Si ! J’vous assure ! Ah, ça s’est pas fait en un jour -enfin, si, la signature oui, et c’est c’que je vais vous raconter- mais on a notre niche à nous deux. Dans les Vosges. Et on l’a bien méritée, parce que -rhooooo ! Comment on a géré ça !
V’voulez qu’j’vous raconte ? Oké ! Allons-y !
C’était un matin de janvier…
On était partis en séjour en tête-à-truffe, Mom et moi. On fait ça de temps en temps, genre 2-3 fois par an, quand les petits bipèdes de Mom (et son Mâle) commencent à lui courir sur le haricot. Quand c’est comme ça, elle loue un chalet dans un Sunparks, et au programme, on fait des balades psycho-pattes, on se mange plein de bonnes choses, on fait des opérations-papouilles et pis on prend le temps d’un peu de lecture. Fin, moi, je lis des os. Avec les dents. C’est comme ça qu’on fait, nouzautes chiens.
Cette fois-là, c’était juste après les vacances de Noël. « De quoi se remettre des fêtes ! », qu’elle m’a dit. Apparemment, sa semaine au ski dans les Vosges avec la tribu de bipèdes avait été plus fatigante que prévu !
Bref, on s’était à peine installés dans not’ petit paradis temporaire que le téléphone sonne. Moi, j’étais pas content.
- Mooom ! On avait dit « pas de téléphone » !
- Oui mais là, c’est spécial. Faut que je le prenne.
Le coup de téléphone s’est achevé, et là, j’ai vu Mom me regarder les yeux brillants.
- Pop ?
- Mom ?
- Demain, on va acheter une maison !
Moi, chu pas contraire, hein ! Tant qu’on est ensemble et qu’on bouge un peu !
Donc le lendemain, au lieu de faire notre balade psycho-pattes autour du chalet, on a pris l’auto, et hop ! Direction la France ! Durant le trajet, elle m’a expliqué l’histoire. En fait, c’était à la base une idée du Mâle et de la maman de Mom : de trouver une niche dans les Vosges pour y passer les vacances et les w-ends. Et nos séjours en tête-à-truffe. Donc ils sont allés voir une baraque, qui avait apparemment l’air sympa (en fait, Mom, elle a complètement craqué !), et l’agent immo-quéqu’chose lui a dit qu’il fallait signer le plus vite possible, sinon c’est un autre qui l’aurait. Et comme le monsieur est sympa, il a dit « Faisons chacun la moitié du chemin, et retrouvons-nous à l’Excelsior à Nancy ». C’est vrai que l’idée est pas mauvaise : plus besoin de louer un truc dans un parc, on serait chez nous ! Pis j’avais jamais vu Nancy…
Arrivés là-bas, j’vous raconte pas le bouzouf pour entrer en ville. Georges, le GSP de Mom, arrêtait pas de se tromper. « Road recalculation », y disait. Fin moi, je comprenais pas, mais j’entendais Mom qui lui râlait dessus en disant que si il continuait à changer de chemin, elle allait lui recalculer elle-même sa face. Parfois, y sont bizarres, les humains et leurs machines…
Finalement, on a trouvé une place de parking. Comme on avait de l’avance, on a marché en rond dans un mini-parc pour que je fasse mon caca. Y a un punk à chien sans chien qui m’a coupé dans mon élan, parce qu’il est venu me faire des gratouilles derrière l’oreille. Vous avez déjà essayé, vous, de pousser votre crotte quand on vous gratte le pavillon ? Mom a récité le refrain habituel « Oh-mais-vous-savez-il-est-très-heureux-sur-trois-pattes-regardez-en-plus-je-l’emmène-partout ». Et pis, ça a été l’heure.
On s’est dirigés vers la rue où Georges nous avait dit qu’y avait la Brasserie Excelsior. On a juste vu un immense restaurant très-très- chic, avec des serveurs en noir et blanc, des monsieurs en costume et des ptits chiens à rubans.
Pis Mom s’est arrêtée net devant le restaurant très chic.
- Pop…
- ?
- C’est là.
- Quoi ?
- Le… l’Excelsior. C’est là.
J’ai levé mon nez d’un message olfactif canin, et j’ai vu que Mom était devenue toute blanche.
Elle a regardé ses bottines de marche boueuses. Pis mes trois grosses pattes. J’ai regardé son sweat-shirt à capuche Metallica, son jeans à trous et ses mitaines de cuir noir. Pis on a regardé ensemble les dorures de la façade de l’Excelsior.
- …
- …
- …
- …
Mom était paralysée. J’ai pris les choses en main.
- Allez, Mom, on y va.
- Onpeutpasrentrerla’d’danscommeçaPop – qu’elle a murmuré très-très vite.
- Maaais si ! Chu habillé, moi. J’ai mon harnais rouge Animalin, je suis classe pour deux.
- Euh… situledis.
A l’entrée, y avait un vendeur d’huîtres. Quelle drôle d’idée… Si loin de la mer ? Pis dans la seconde entrée (oui, c’est bizarre, y en avait deux, séparées par trois marches couvertes de velours rouge), un maître d’hôtel en livrée noir et dorée. Tous les deux ont dévisagé mon moignon, pis avisé Mom.
- Médèèème ? Que pouvons-nous faire pour vous ?
- Euh… (tout bas) Z’ai rendez-vous avec monsieur Mjjllll.
- Plaît-il ?
- Euh… Gné un rendez-wous. Awec un meucheu. À 14h. Meucheu Moujlllllll.
Très professionnel, le maître d’hôtel tend la main vers la grande salle.
- Il n’est pas encore arrivé mais installez-vous, chère madame.
J’ai un peu tiré sur ma laisse – juste à peine- ce qui a propulsé Mom en avant, pas loin d’un plat d’huitres que j’aurais bien voulu atteindre.
- Euh… Je… je peux entrer avec mon chien ?
- Mais bien sûr , Médème. Nous accueillons avec plaisir vos charmants compagnons à quatre pattes.
J’ai re-tiré un coup, parce que bon.
- Oui mais euh… s’ils en ont que trois, ça va aussi ?
- …
- …
J’ai senti que là, Mom était sur le point de partir en courant. C’est vrai que dans l’immense restau, y avait que des dames en toute petite jupe mais avec des choses au pied qu’on aurait cru qu’elles allaient faire un barbecue avec. Et que des Mâles super-bien habillés, très propres, très clean, très frais.
Pas comme nous, quoi.
Mais en fait, le maître d’hôtel aimait bien les chiens, et y a quéque chose chez Mom qu’a dû le toucher, parce qu’il nous a très gentiment escortés jusqu’à notre place. Bon, c’était tout au bout de la salle, dans le seul coin qu’était pas restauré (le comble pour un restaurant, huhuhu !) et où tout le monde pouvait nous voir de partout. Même de dehors à cause des grandes portes vitrées contre lesquelles se trouvait notre table. C’était un trajet intéressant : y avait des pépèttes en bouclettes avec des harnais à diamants ! J’aurais bien été leur faire coucou, mais je sentais Mom tendue, donc je suis restée contre sa jambe. Ptêt même un peu trop pask’elle a trébuché pis failli tomber sur une des dames pleines de jambes nues, qui l’a foudroyée du regard en maugréant des choses sur les bouseux qu’on ne devrait pas les accepter dans des endroits comme ça, nanméoh.
A notre table, une longue serveuse avec des grandes gencives est venue demander ce qu’on voulait boire, pis elle a vu ma patte, alors de nouveau, j’ai eu droit à plein de caresses et à des tas de biscuits sur une petite soucoupe. Mom a essayé de retirer son sweat Metallica en douce, pis comme tout est venu en même temps, même son soutien de sport, elle a renoncé.
On a attendu. Mom avec trois cafés. Moi avec une gamelle d’eau de luxe. On nous a proposé des huîtres, mais Mom a refusé. Dommage, ça avait l’air appétissant ! Les serveuses venaient régulièrement poser des questions sur ma patte.
Pis le monsieur Moujel est arrivé, enfin. Avec 45 minutes de retard.
- Ohlala, pour se garer, Madame Jones !
- M’en parlez pas, j’ai failli jeter Georges par la fenêtre.
- Ah, c’est ça, les trois pattes ?
- … Ah nononon, Georges, c’est mon GPS. Lui, c’est Pop. IggyPop. Pop, dis bonjour !
En chien obéissant, je me suis levé et je suis allé faire un coucou au monsieur. J’ai un peu marché dans mon écuelle, et j’ai un peu bougé la table avec ma fesse, mais Mom a juste eu un peu de café sur son sweat. Pas grave, donc mais elle m’a quand même dit que ça allait se payer à la maison. Mom, tu sais pas ce que tu veux !
On est restés là pendant 2h. Les deux humains, ils parlaient, ils parlaient ! J’ai fini par m’endormir, et quand je me suis éveillé, y avait presque plus personne et il faisait noir dehors.
J’ai regardé Mom. Elle avait un stylo en main, mais elle écrivait pas. Elle m’a regardé.
- On y va, Pop ?
J’ai dit que oui. Je commençais à me sentir ankylosé à force, mais en fait, elle parlait pas de rentrer. Elle a serré le bic très fort, et a signé. Pis elle a donné les papiers au monsieur. J’ai vu qu’elle avait les yeux brillants et le coin de la bouche qui tremblait un peu. Ptêt qu’elle avait mangé un truc qui passe pas, genre une huître ? Non, en fait, c’était juste l’émotion.
Le monsieur Moujel s’est levé dans sa veste en poil de biquette très nette, a serré la main de Mom avec une expression contente. M’a fait une doudouce sur la tête. Puis il est parti.
On est sortis de la brasserie (le monsieur des huîtres était parti aussi, mais le maître d’hôtel était toujours là avec son air sympa). On a retrouvé l’auto. On est repartis de Nancy (vachement vite ; Mom avait pas branché Georges). On est arrivés au chalet (vachement tard, Mom avait remis Georges qui nous a perdus dans la nature).
Et là, on s’est assis sur notre divan.
Y a eu un long silence.
Pis Mom, elle m’a regardée en souriant.
- Ca y est, Pop. On a acheté une maison. A nous deux.
C’est formidable, non ? On est fantastiques, Mom et moi.